Variations sur le poème de Prévert, Déjeuner du matin
Accent Français, août 2007.
Rapport de police, Nele et Eva
Queuja Verpré, 45 ans, domicilié au 7, rue de Verdun à Montpellier (34) a pris son café au lait le mardi 7 août à 8h13.
A 8h14, il a mis deux morceaux de sucre de canne dans la tasse. Il a remué 13 fois avec une petite cuiller en inox fabriquée en France.
A 8h15, il a bu le café au lait en regardant par la fenêtre la voisine d’en face qui partait au travail, à Monoprix, place de la Comédie.
A 8h16, il a reposé la tasse sans adresser une seule parole à sa femme, Magali Verpré, née Dassin, à Narbonne, 32 ans.
A 8h17, Verpré a allumé une cigarette Gauloise blonde bleue, le paquet ayant été acheté la veille aux alentours de 18h30 à Monoprix, lieu de travail de
Madame Rosa Amante, domiciliée 8, rue de Verdun, 26 ans et voisine des Verpré.
Puis il a fait 13 ronds de fumée avec sa cigarette. Il a mis les cendres dans le cendrier en bronze pesant 2 kilos environ.
Ajoutons qu’il n’a ni parlé à sa femme, ni ne lui a jeté un coup d’œil.
A 8h23, il s’est levé en regardant sa montre.
Il a mis son chapeau en feutre gris sur sa tête.
Il a mis son manteau de pluie de chez Berberry, acheté à Londres en 1996.
A 8h24, il a quitté son domicile, maté hostilement par sa femme, sans lui dire un mot. Il est parti sous la pluie en direction de Monoprix.
Lettre à sa mère, Stella et Dagmar
Madame,
Je m’adresse à vous concernant une situation tendancieuse que j’ai vécue ce matin avec votre fils.
Mais d’abord, permettez-moi de me présenter. Je m’appelle Catherine de Vendôme, Comtesse d’Anjou, fille unique de Pierre-Marie de Vendôme et son épouse
Marie-Antoinette. Je suis la fiancée de votre fils, dont j’ai fait la connaissance à l’opéra Garnier il y a un an. Je suis bien consciente du fait que vous n’étiez pas au courant de notre
liaison.
Ce matin, nous nous sommes donné rendez-vous au « Deux Magots » pour discuter de notre avenir commun. Un nouveau stade dans notre relation
était en train de naître.
J’attends un enfant. Après avoir appris cette nouvelle, votre fils avait l’air de ne pas l’avoir comprise. Il a cessé de parler, il ne me regardait plus,
il agissait d’une façon mécanique, tournant la cuiller dans son café, allumant une cigarette, faisant des ronds avec la fumée. Il avait l’air absent. Dehors, il pleuvait des cordes. Finalement,
il a mis son manteau de pluie, son chapeau et il est parti sans mot dire.
Il me fallait d’abord me calmer, le désespoir dans mon cœur, et arrêter de pleurer, pour être capable de rédiger cette lettre.
Je suis sûre que vous comprenez bien mes sentiments.
Je vous supplie, Madame, de m’aider dans cette situation.
Ainsi, je vous serais très reconnaissante d’entrer en contact avec votre fils.
Moi, je ne comprends absolument pas sa réaction. Je ne lui ai donné aucune raison d’être fâché contre moi, je pensais qu’il serait ravi de cette
nouvelle.
Croyez-moi, Madame, cet enfant est un enfant de l’amour.
Catherine de Vendôme
Rapport médico-légal, Nazan et Levente
Selon les témoins, M. Narkozy, le Président de l’Association des Immigrés Sans Frontières, est entré dans un bar homo à 7h34. Puis il a commandé sa tasse
de café habituelle, sans remarquer que le serveur était nouveau. Ce dernier lui a apporté, par inattention, une tasse de déca. Néanmoins, M. Narkozy, comme il avait la gueule de bois, n’a
rien remarqué et a ajouté à son breuvage une énorme quantité de lactose. Après avoir mis du sucre dans sa tasse, il a remarqué la présence d’une petite cuiller dorée. Puis il a allumé une
cigarette mentholée, trouvée au fond de sa poche, étant donné qu’il avait oublié ses propres cigarettes chez une prostituée.
Le manque (ou la carence) de nicotine et de caféine a conduit M Narkozy à penser que la petite cuiller dorée ci-dessus mentionnée était en or. Or,
tout-à-coup, il a décidé de la mettre dans sa poche, sans dire un mot à quiconque. Puis les événements se sont enchaînés très rapidement : il s’est levé, il a mis son chapeau sur sa tête,
il a enfilé son manteau de pluie parce qu’il pleuvait, puis il est parti sans payer. Alors, c’est à ce moment précis que le serveur a voulu l’arrêter. Tous les deux se sont mis à courir. Comme
il tombait des cordes, les deux adversaires sont tombés sur un chien errant, dans la rue, sur les pavés glissants.
C’est à ce moment-là que la petite cuiller ni en argent ni en or s’est déplacée vers le postérieur de la victime.
En raison de sa blessure au « cul », M Narkozy a perdu beaucoup de sang. D’autre part, les taux de caféine et de nicotine n’étant pas
suffisants, il n’a pas pu récupérer et il est décédé dans les minutes qui suivaient.
[Conclusion : décès par carence en nicotine et caféine, traces d’hématomes sur les jambes dus à une chute sur le sol, hémorragie débordante et choc
psychologique avancé du stade anal freudien. NDLP]
Genre documentaire-fiction à la télé « Incident domestique au lever du jour »
Juan, Luba et Silvina
Voix-off du commentateur :
Un matin dans une famille ordinaire. Paris XVIème. C’est l’automne. Il pleut des cordes. Lui et elle. A table. Il fait son café. Des gestes
habituels : café d’abord, lait ensuite, sucre après. Il le boit. Avec indifférence. Il ne la regarde pas. Il ne lui adresse pas une parole. Elle ne le quitte pas des yeux. Le voilà qui
fume sa cigarette. Elle n’aime pas ça et il le sait. Mais aujourd’hui, elle ne lui dit rien. Elle l’observe. Il ne la voit toujours pas. Il ne lui pas un seul mot. Il se lève. Il met son
imperméable, il prend son parapluie et il s’en va. Toujours sans la regarder, sans lui dire au-revoir. Et elle, elle retourne dans la cuisine. Elle a les larmes aux yeux. Mais elle doit prendre
son café et partir au bureau.
Article de presse « Incident domestique au lever du jour », Chloé et Sabina
Hier matin, la ville de Montpellier a été le témoin d’un drame pédagogique hors du commun. Des Montpelliérains, se dépêchant d’aller au boulot, ont été
surpris par des projectiles volants dans la rue de Verdun.
En essayant de proposer un exercice de réécriture, un professeur de langue d’Accent Français a perdu patience et a commencé à jeter des tasses de café au
lait sucré par la fenêtre de l’école.
Après l’arrivée de la police, le professeur a déclaré que dans sa classe de PLF, elle avait essayé d’apprendre à ses étudiants à réécrire un poème connu
de M Prévert. Or, l’un de ses apprenants l’avait totalement ignorée. Durant l’exercice, il est allé se chercher une tasse de café au lait sucré, puis il a tourné la petite cuiller dans sa tasse
en faisant beaucoup de bruit. Puis il a allumé une cigarette et a fait des ronds avec la fumée, en soupirant de plaisir. Sachant que la prof était allergique à la fumée de cigarette, l’étudiant
l’aurait « provoqué », selon la prof. Et tout ça, sans lui parler, sans la regarder.
Après une dizaine de minutes, il s’est levé, il a mis son chapeau, son manteau de pluie et il est parti. Quand la prof l’a vu dans la rue, elle est
entrée dans une colère noire et lui a jeté des tasses de café à la tête, en criant qu’il pouvait utiliser son manteau de pluie maintenant qu’il pleuvait des cordes de café au lait.
Des policiers ont retrouvé la prof dans la classe, la tête dans ses mains, toute en larmes.
Ce cas nous montre comment un cours de littérature peut être dangereux pour la santé. Consommez-la avec modération !